Poèmes en prose tirés du projet musical ‘Empire d’Akenos'(2025)

                                                                                                      DEFERLANTE

                                                                                                        —————

Les rêveries déguerpissent à l’aube du soir; je me rabats contre le mur, les bras défaits dans la cage des averses.

Je suis de ces animaux oubliés qu’aucune âme ne songe à venir traquer..

La nuit est lasse, remue à peine ses hochets; je parcours en silence le vestige des fêtes éteintes, restant là sans mot à contempler la présence du fleuve muet.

Au loin, ils vont et viennent, creusés de vent, le visage gagné par l’érosion des rives et moi je ne sais plus guère que marcher en biais le long du quai magnétique des fatigues..

Tel un haillon d’écume cherchant le corps des vagues, je te croise encore dans mes rêveries.. Je ne suis guère qu’un arpenteur de songes casqué de musiques.. Jadis bienheureux, j’étais le doux buvard du timbre de ta voix. A présent, je suis un jour de pluie dilué dans les gouttières des places vides..

Au loin de la jetée j’aperçois le signal d’un feu pâle: aucune île ici n’apprivoise le large, sinon l’haleine lente des marées noyées dans leur lit d’algues rouges.

Une conque sculptée attend sa résonance tandis qu’un lait de lune infuse aux fenêtres. J’ai gardé dans l’ombre le pollen des regards, posant ma tête sur un nom, un sein, une colline, à rêver d’orangers et d’oliviers fleuris dans un patio de ciel plus bleu que ceux d’Occitanie.

Sur la vaste plage, une chaise vide attend plantée face à la mer et j’hésite à retourner chérir la chair des épaves..

La terre a des odeurs de femmes qui s’éveillent; je caresse en silence chaque fragment de souvenir assoupi à l’ombre des robes déployées. Je me retourne sur ta silhouette fantomatique tandis que la nuit veille à me reprendre promptement dans ses filets grisants.

Demain, j’irai trouver la nymphe aux grands yeux vagues qui portera à ma bouche le maïs qu’on cultive au-delà de l’horizon suprême. J’irai détricoter dans ma petite véranda la calligraphie des astres et des troupeaux. J’irai faire un dernier tour dans le petit bois des pâles échos, à humer le chaos des détonations les mieux éteintes..

Les poteaux de plage se démâtent doucement; mes nacres sont striées aux éraillures des mirages et je reviens frapper tous mes vieux coquillages au pont rugueux des idéaux.

Mon fidèle destrier a gardé l’encolure audacieuse de l’enfance. Je galope sur les prairies ouvertes où foisonne l’instant. Sache que j’appartiens aux mondes qui se chevauchent, entre l’écume et l’arbre, entre l’écorce et l’eau.

Toi qui de moi ne voulais rien pétrir, voici pourtant l’écorchure de ta chemise et l’écaille de ta langue; je te fais goûter la nacre en plein jour, un arc en ciel tout blanc plus brillant qu’un rebord de miroir..

De la lustrine au vernis, tu m’as embrassé jusqu’à détremper les derniers pigments de mes lèvres meurtries. Je veux que tu m’imprimes encore chaque petit détail minéral de toi afin de porter la trace de tes ricochets.

J’aime ta façon de passer ta main dans les plis ouverts d’un linge propre; tu es l’innocente caresse du rameau qui converse avec la brise..

Mon ambre, ma douce ardoise, mon vin de perle, chaque jour je te brasserai comme une couleur à extraire.

AMANTES CULMEN

Je veux me répandre sur toi comme une poutrelle de feu,
propager mon onde sur ton corps alangui..

Panthère de rêverie, je viens frotter mon ventre sur ton écrin de mirages.
Les copeaux de mon âme pénètrent tes reliefs ;
je suis ton piège à loup décapsulant tes alcools d’ivresse,
Je suis l’étoffe lourde qui vient boire à ton étang de nudité.
Je t’attrape au cou comme un jeune tigre joueur;
tes mains empoignent mon torse mûr.

Ma peau est à point, tannée par la ferveur de tant d’années de passions.
Je veux flanquer mes orages dans tes perles d’abysse Ô mystères pédants !

Tigresse, tu peux lâcher ton râle, je défenestre ta pudeur.
Les parfums de l’amour fermentent dans un ballet de gestes, de cantiques éperdus.
Tous mes wagons sauvages viennent claquer sur ta rame;
mes canaux électriques se tendent comme des arcs
et tu me plantes ton haleine jusque dans les tripes..

J’attrape un ange-mateur par les paluches
et je le broie dans ta chevelure qui s’agite soudain comme un nid à serpents
– je casse le diable en deux et je poivre ton corps ! –
Montre-moi tes dents de hyène échaudée et j’inverse tes pôles,
je te brode à l’épaule mes vibrantes pensées..

Ma langue mutine câline tes commissures de cuisses,
puis je remonte à tes crocs qui capturent mes lèvres. 
Ta bouche est une fleur sauvage,
qui parfume mon âme de papillon.
Vois mon aile silencieuse se poser
sur la soie de ton épaule chaude !
Je suis un enfant, une panthère, une brise d’Eté;
je suis un grand soleil dans ton refuge aux portes de coton..
Le temps suspendu
infuse mon âme à ta presqu’île;
Mon souffle sur ta peau me grise:
tu es ma vapeur d’absinthe !
Tes deux pyramides sont des flacons de rivages.
Fais-moi boire de ton lait; enfante ma déraison !
Mes griffes de faucon ratissent ta nuque;
je porte mes dents à ton cou,
je mordille ta chair tel un vampire avide..
Je suis ton Minotaure, ton Lucifer, ton Dracula !
Mes doigts délicats viennent broder d’audaces
un incertain langage à même tes seins..
Je n’aime rien tant que ta main
incertaine
cherchant à faire blanchir ma lame..
Des alcools de prune et de poire coulent à présent de nos pontons;
je t’attrape au cou, tel un canidé, pour te tirer lentement vers moi;
je sens tes fioles d’effluves infiltrer mon cœur;
Ta bouche capture la mienne comme une proie fébrile.
Tes bactéries s’engouffrent dans mon sang, restaurent ma matrice..
Je vois des gouttelettes d’eau fines
bouillir sur ta peau
puis s’évaporer au diapason de tes soupirs..
Ta rosée coule déjà du septième ciel convoité.
La chambre se tapisse d’un rouge-violacé..
Je sens ton odeur animale qui s’abat comme une tempête:
tu plantes tes yeux intenses
tel des ancres dans l’océan de mon âme.
Je me retourne tout entier sur toi,
ragaillardi par ton puissant courant.
Ta bouche carmin
a faim
de recevoir l’écume de ma lèvre.
Je t’ensevelis d’une vague puissante
et j’engouffre encore davantage
ma corne de Minotaure
dans le tréfond de ton corps.
Voici l’offrande de nacre:
de multiples orages tonnent dans ta chair
Tu tressailles d’accueillir dans ton caveau
ma liqueur de perle.
Tu m’enfonces tes ongles dans le dos si profondément
que je sens distinctement ton nom se graver sur mes os.
Je plante à mon tour mes dents dans ta jugulaire
tandis que tes canines percent mon épaule.
Je m’abreuve, tu me bois,
nous nous embrassons follement
pour partager ce vin de messe.
Je ramasse au sol des caillots de raisin
et je les porte à ta petite gueule affamée.
Tu les dévores en me dévisageant.
Ta bouche coule infiniment
jusque dans ton nombril
et abreuve les petits papillons
vibrant à ton bas-ventre..
Tu t’éclipses dans la salle d’eau
et déjà tu m’inspires
de vilaines rêveries..
Relevant une pièce d’étoffe
trop ajustée à tes hanches
tu me laisses entrevoir
l’arrogante colline hirsute !
M’empoignant le vit en me fixant des yeux,
tu veux me voir céder à proférer
mes ordres rabaissants.
Ta bouche lascive de succube
réclame la lie de mon calice !
Tu m’engloutis de ta gueule de fauve
pour m’assassiner de plaisir.
Des torrents hypnotiques se répandent en moi,
tandis que tu bois toute ma fontaine.
Démon repu, tu m’adresses un sourire..
Je suis une comète
dans la galaxie de tes yeux fauves.
Aucunement je n’ai la beauté d’Artemis,
mais je peux être un grand forgeron de volupté !
Fais de moi le gardien secret de tes moiteurs,
l’arboriste de ton plus secret jardin..
Je l’avoue, je suis parfois jaloux des visiteurs
que tu salues de ton candide balcon.
Tous ces mirages, si laborieux, sont autant de déserts..
Et si chaque homme est fait de sable,
je serai ton désert de Mojave,
ton Dasht-e-lout, ta Kébili.
Je serai le Queensland bouillant
au milieu des montagnes de feu.
Le bas de ton dos est désormais tatoué
d’obscurs hiéroglyphes..
«Sois indécent» chuchotes-tu !
Soit, j’ai besoin de lécher ta petite béance,
comme un chien des enfers;
que les parois de ton éminence charnue
s’abandonnent à mon autorité..
Tu n’aimes rien tant que me sentir palpiter dans ta bouche;
tu me dégustes infiniment, tandis que des plumes d’ange
tombent très lentement sur nous comme une fine pluie;
tandis que des sirènes au lointain
nous chantent leurs plus doux sortilèges..
Sois mon alcool, mon brasier, ma folie,
sois ma déesse et ma putain,
Sois le petit matin des longues nuits.
Le soleil s’attarde sur mon torse
lorsque tu le caresses;
Je veux sédimenter encore à ton épaule;
je mords chichement cette douce colline
infiniment tenté d’y boire
un sang doux et intense !
Sidère-moi;
fais de moi le buvard de ta cyprine et de ta lave,
de ton urée et de ta bave.
Je veux tes cuisses et ton pubis amarrés à ma taille,
quand je viendrai cent fois sur toi pour te donner mon âme !
L’un dans l’autre, je veux nous mélanger
encore et toujours !
Je veux mourir et ressusciter dans tes bras..
Je rêvasse, je me languis, je me dilue..
Viens contre mon épaule et contemplons
les derniers instants de ce monde-ci !
Voûte aux tendres volutes, volupté veloutée !
Je veux me noyer sans fin dans des étreintes folles;
je veux brûler d’ivresses, célébrer le feu qui me porte
et qui m’emportera jusqu’à l’ultime crémation !